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Voilà déjà longtemps, c'était en 1989-1990, que j'ai commencé un travail de recherche politique initié par une période de chômage de 9 mois. J'ai voulu comprendre et dans un esprit pratique, j'ai voulu rechercher des solutions à l'exclusion sans pour autant sacrifier la liberté et sans nourir de bouc-émissaire. Jamais je n'aurais cru y parvenir. Mais aujourd'hui, j'ai le sentiment d'avoir épuisé, du moins d'une façon théorique (mais aussi pratique que possible en m'appuyant sur l'existant) qui me semble assez satisfaisante, les questions politiques (les choix collectifs) que j'ai voulu résoudre. Je crois n'avoir négligé dans ce projet ni l'aspect social ni l'aspect économique, les deux étant réputés capables de vengeance en cas d'oubli. Le petit graphique à droite présente l'individu ordinaire répartissant son temps entre 3 pôles ayant chacun leur logique propre, un pôle affectif, un pôle productif et un pôle social. C'est surtout ce pôle social qui me semble devoir trouver sa place, puisqu'il ne l'a plus au sein de la famille et que le pôle productif s'appuie sur une logique de gain de temps inadaptée.
Le principal message politique que je tente de mettre ici en musique, c'est celui d'Alexandre Jollien dans son "Éloge de la faiblesse" et celui de Charles Gardou dans son "Fragments sur le handicap et la vulnérabilité". Mettre la faiblesse et non la perfection au centre de gravité des préoccupations politiques, c'est vouloir aménager une place à chacun et tenter de se libérer de la peur de soi, de la peur de l'imperfection qui habite chacun de nous dans cette société de l'individu. C'est tenter de déplacer le centre de gravité politique d'économique à humain, richesse première. Aménager une écologie sociale faisant une place à chacun, lui permettant de contribuer à la collectivité, aussi faible soit-il, c'est le sens politique profond de l'Etat Providence Participatif. Tout l'opposé de la pitié ou des bons sentiments que beaucoup ont cru déceler dans la société du soin mutuel. J'invite les penseurs et acteurs de la politique à opter pour cette démarche, à comprendre les mécanismes de formation d'exclus que leur philosophie politique ne manque pas de produire et à y remédier à la source, en plaçant le faible au coeur de leur réflexion et non pas à le prendre en considération après coup et constater notre impuissance devant cette implacable "lutte des places"* (Titre d'un livre de Vincent de Gaulejac et Isabel Taboada Léonetti).
Si on juge une société à sa capacité à faire une place à chacun de ses membres et en particulier aux plus faibles, alors notre organisation actuelle peut être jugée très sévèrement, particulièrement eu égard à notre niveau élevé de richesse économique. La droite pour assumer d'organiser la société autour des plus forts et la gauche pour ne guère dépasser le niveau des bonnes intentions, malgré une tentative récente, mais timide et si froidement accueillie, de vouloir promouvoir la société du soin mutuel. Il y a du chemin à faire puisque nous réussissons l'exploit d'exclure plus de 10% de personnes non handicapées, n'ayant qu'une vulnérabilité ordinaire et nous prolétarisons la majorité. Ni la société de marché ni la société de la connaissance, pas plus que la société du temps choisi ne sont en mesure de nous aider à réaliser les conditions d'une contribution reconnue de chacun de nous, à nous aménager une place.
Aucune idéologie n'est d'ailleurs en mesure d'apporter ce qu'elle est censée apporter si elle n'est associée à une boucle de retour d'expérience et d'ajustement sur les décisions prises, sur les institutions mises en place. C'est cette qualité de mesure qui est un des éléments clés de la sociocratie d'Endenburg qui fait toute la valeur opérationnelle, pour les organisations, de l'attention qu'il porte à aménager une place à chacun, à chaque objecteur et à chaque objection. Cette mesure, cette évaluation, est une condition nécessaire pour rapprocher ce qu'on fait de ce qu'on dit et avoir une chance d'échapper au délire idéologique universel confondant ce qu'on veut et la réalité. Esther Duflo n'a pas renoncé à l'idéologie d'une lutte contre la pauvreté, mais c'est en mettant l'évaluation au premier plan de ses actions, c'est assez rare pour être souligné.
Si la démarche politique que j'ai suivie est originale, je n'ai aucune leçon de morale à donner, je revendique d'être un citoyen ordinaire, ni plus ni moins. C'est pour cette raison que je n'ai pas compté sur un homme nouveau dans l'élaboration de ce projet politique. Je ne compte pas non plus sur un homme providentiel parce que je crois que le volontarisme se heurte à des forces historiques et sociales qui le dépassent de très loin. Cette idée de placer la faiblesse au centre de la réflexion politique plutôt que de la prendre en compte après coup peut-elle déboucher sur une mise en forme politique viable et efficace? Elle est en tout cas cohérente avec l'idée de ménager une place, une vraie place, à chacun d'entre nous.
Comme je n'ai pas vocation à devenir un intellectuel professionnel et n'ayant pas non plus vocation à commenter l'actualité, sauf exception, je vais arrêter de publier régulièrement de nouveaux billets sur ce blog et poursuivre ce bricolage par d'autres moyens. Le blog va toutefois rester ouvert ainsi que la possibilité d'y déposer des commentaires et dialoguer entre vous ou avec moi.
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Avec tous mes remerciements pour votre attention.
Amicalement.
*La Lutte des places, Desclée de Brouwer, Paris,1994, réédition 1997, 2001.
Vincent de Gaulejac en collaboration avec I. Taboada Leonetti.
"On n'existe plus ! Cette plainte est caractéristique de toutes les personnes qui ont le sentiment d'avoir perdu leur place dans la société. Ce phénomène de désinsertion sociale est nouveau et touche un nombre de personnes de plus en plus important. La lutte des places n'est pas une lutte entre des personnes ou entre des classes sociales. C'est une lutte d'individus solitaires contre la société pour trouver ou retrouver une " place " c'est-à-dire un statut, une identité, une reconnaissance, une existence sociale. Cet ouvrage décrit, à partir de récits de vie, différents aspects de l'exclusion et diverses formes de désagrégation du lien social. Il montre comment des individus entrent dans l'engrenage de la désinsertion et présente les stratégies pour tenter de s'en sortir. Il analyse également pourquoi les réponses politiques et institutionnnelles se sont avérées, jusqu'à présent, impuissantes pour enrayer ce phénomène."
Suite à un certain nombre d'objections tirant leur source du malentendu, je voudrais préciser que la démarche retenue ici pour édifier un Etat Providence Participatif (ou Contributif) est normative dans le sens ou je ne demande pas à l'état de faire le jeux mais de l'arbitrer, je ne demande pas à l'administration de prendre en charge cette politique de la contribution sociale sous toutes ses formes que je propose, mais de consolider et réguler cette activité au moyen d'institutions relevant d'un état de droit.
Par exemple, dans la mesure du possible, plutôt que de payer des fonctionnaires à prendre en charge des handicapés, je choisirais de favoriser au maximum leur insertion dans toutes les sphères d'activités. Les coopératives municipales de Jean Zin me semblent apporter un cadre institutionnel propice à la mise en place de cette contribution volontaire. Ce qui est le coeur politique de cette proposition c'est de signifier concrètement à chacun que lui aménager une place, lui permettre de contribuer, tout au long de sa vie s'il le souhaite, est l'acte politique le plus important.
PS: je tiens de loin en loin un autre blog sur l'école sous le pseudo de Solotourne, l'école désadolescentée.