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La sociocratie pour réconcilier le je et le nous et réduire la surchauffe des égos.

Le 9 Mai 2011 à Lyon, Gérard Endenburg tenait une conférence-débat organisée par le Centre Français de Sociocratie sur le thème de ... la sociocratie. J'y étais. Bien qu'il n'ait pas inventé le nom et sa signification, c'est Auguste Comte qui en est l'auteur, on peut lui attribuer la paternité de la mise en pratique d'un principe d'organisation sociale qui fait converger le respect de chacun avec la conduite du groupe. Cette conférence est pour moi la fin d'une étape de recherche de démocratie appliquée à l'entreprise (le terme est mal choisi et Auguste Comte l'aurait récusé, lui qui a construit le principe sociocratique par opposition à l'aristocratie et à la démocratie). Toute forme d'organisation peut d'ailleurs s'appuyer sur les principes développés par Endenburg. C'est, de mon point de vue, la forme d'organisation la plus aboutie que j'aie pu découvrir. De plus, elle s'inscrit naturellement dans le cours de mes recherches et de mes interrogations sur la façon de concilier démocratie et capacité de décision, de concilier le je et le nous.

Gérard Endenburg est né en Hollande en 1933 et a eu la chance de faire partie de l'école Workplaats Community School érigée selon les principes du pédagogue Kees Boeke (1884-1966). Il raconte qu'au début qu'il y était vers ses 10 ans, il n'y avait rien dans cette école, même pas de professeur. Avec ses camarades, ils sont même allés jusqu'à fabriquer chaises et tables et c'est eux qui se sont débrouillés pour convaincre des professeurs de leur venir en aide. Cette histoire qui paraît assez incroyable est certainement fondatrice de la confiance en les capacités d'auto-organisation humaine dont la sociocratie de Gérard Endenburg fait preuve. Elle me rappelle un récit d'Albert Jacquard racontant comment en terminale, lui et ses camarades avaient réussi une de leurs meilleures années alors que leur professeure était complètement débutante, mais qu'elle avait su animer et stimuler leur auto-organisation en acceptant d'être aussi novice qu'eux. Après des études qui le conduisent à découvrir les systèmes et la cybernétique, Gérard Endenburg travaille comme ingénieur radar. Puis, il hérite de la direction de l'entreprise familiale. Je cite Wikipedia:

En 1968, il prend la direction de l'entreprise familiale Endenburg Elektrotechniek en remplacement de son père. En 1970, atterré par les conflits permanents au sein du comité d'entreprise, il décide de stopper le développement économique de l'entreprise pour se consacrer à améliorer son organisation. Il invente alors la méthode sociocratique fondée sur le concept plus aucune objection argumentée d'aucune personne.

La première observation qu'il fait, c'est que tous les systèmes complexes, et en particulier les systèmes vivants, répondent à trois fonctions: une commande, une réalisation et un contrôle asservi sur la commande. Plus l'information qui circule dans le système est fiable et accessible et meilleur est le fonctionnement.

La seconde observation, c'est que tous les éléments fonctionnels d'un système ont la même valeur dans le sens où si l'un d'eux vient à défaillir, c'est le système entier qui est en panne. Il en tire la leçon que chaque personne de l'entreprise doit clairement avoir une place et donc voix aux décisions qui la concerne. Gérard Endenburg a beaucoup insisté sur ce point lors de sa conférence, sur le fait que chacun ait une place et qu'il le sache. La règle du consentement rend concrèt ce principe (Plus aucune objection argumentée d'aucune personne).

La troisième observation, c'est que les fonctions d'un système complexe comme l'est une organisation humaine, s'organisent en sous-systèmes hiérarchisés. Une de ses collaboratrices a illustré cette réalité de la hiérarchie des fonctions en disant que si notre tête n'était pas entre nos jambes ce n'était pas par hasard. Gérard Endenburg recherche un système qui permette de gérer le pouvoir en évitant autant que possible l'abus de pouvoir.

Il observe également qu'être créatif apporte des satisfactions, aussi bien sur un plan technique que sur un plan organisationnel, mais qu'en général il est donné à bien peu la possibilité d'exercer leur talent sur le plan organisationnel.

A partir de ces observations, Gérard Endenburg a émis quatre règles de base:

  • 1)Le cercle sociocratique (Commande (ou orientation)/Réalisation (ou opération)/contrôle (ou mesure)), lieu de prise des décisions du domaine de compétence du cercle.
  • 2)Le consentement (le mode de prise de décision sociocratique), à ne pas confondre avec le consensus.
  • 3)Le double lien entre les niveaux hiérarchiques.
  • 4)L'élection sociocratique sans candidat (en général pour environ 2 ans).

Un cercle sociocratique correspond à une fonction (direction de l'entreprise, atelier, service achats...), tout à fait comme cela existe déjà dans les entreprises. Les cercles hiérachiques plus élevés définissent et si besoin actualisent les domaines de compétences des cercles inférieurs, mais ensuite ils n'interviennent plus dans les processus de décisions des cercles inférieurs.

Si, dans un laps de temps donné, le niveau n-1 ne réussit pas à prendre une décision concernant sa compétence, alors, c'est le niveau n qui la prendra. Dans la pratique, il semble que les acteurs du niveau n-1 trouvent toujours une solution par consentement à leurs différends. Le débat est centré sur les buts à atteindre et comment y parvenir moyennant argumentation et proposition. C'est ici que s'exprime une part des tensions qui apporte l'énergie créatrice de l'organisation sociocratique.

Le double lien relie un cercle à son cercle supérieur par deux liens. Un des liens est incarné par le leader du cercle et l'autre lien est un rapporteur qui rend compte au cercle de la cohérence entre les décisions prises et les actes. Tous deux sont élus par le cercle, dans une procédure qui ne comporte pas de candidat. Le leader et le rapporteur font partie du cercle supérieur sans distinction de rôle.

Un des points qu'a souligné Gerard Endenburg, c'est celui de la mesure, de l'évaluation de la cohérence entre ce qui est décidé et des effets. C'est un des points capitaux de cette sociocratie, parce qu'il fait de cette méthode autre chose qu'une simple idéologie, qu'une autre méthode de management en la dotant d'outils pragmatiques capables de réduire la distance entre dire et faire.

Le cercle le plus élevé est le seul qui ne subisse pas la tension du niveau supérieur, sachant que s'il ne prend pas de décision (c'est déjà une décision), aucun cercle supérieur n'en prendra pour lui. En général , les actionnaires et la direction sont associés dans ce cercle de conseil d'administration. Les syndicats y sont bienvenus, mais refusent en général d'y participer, par crainte de perte d'autonomie. D'autres partenaires représentant l'extérieur vers lequel est tournée l'organisation peuvent aussi y participer. La mise en place de ce cercle est souvent le plus difficile, notamment en raison des relations capitalistes usuelles entre actionnaire tout-puissant et direction opérationnelle qui se retrouvent en sociocratie à parité en co-gestion (sinon pas de sociocratie possible).

Voilà en quelques mots l'essentiel des principes d'une organisation sociocratique. Contrairement à l'autogestion radicale, la sociocratie ne fait pas l'impasse sur l'analyse fonctionnelle des systèmes et donne une place très importante aux mécanismes de décisions. Puisqu'en réalité, ce n'est pas en la niant qu'on peut éviter cette hiérarchisation (il suffit d'analyser dans toute organisation qui décide quoi et comment pour s'en rendre compte), autant que celle-ci soit le fruit d'élections et de décisions par consentement. Contrairement au management classique descendant, les décisions sont prises au plus bas niveau possible, au plus près de ceux qui ont à les mettre en oeuvre, c'est à dire selon un principe de subsidiarité. Il est important de noter que les éléments (cercles) du système ne doivent pas se contrôler mutuellement. Autrement dit, aucun cercle ne doit pouvoir imposer unilatérallement sa volonté aux autres. Enfin, la sociocratie met le plus grand soin à utiliser toute l'énergie du conflit et des désaccords pour les transmuter en énergie créatrice. Bien que chacun y ait sa place, nul n'est tenu de venir s'asseoir à la table des discussions et décisions sociocratiques, mais chacun comprend vite qu'il vaut mieux participer aux décisions qui le concerne.

Après la mise en place des principes sociocratiques dans son entreprise, Gérard Endenburg l'a dirigée une dizaine d'années avant de disséminer avec succès son savoir faire un peu partout dans le monde, aussi bien à des entreprises qu'à d'autres organisations de tous types, vérifiant ainsi le caractère universel des principes qui gouvernet les organisations humaines et l'efficacité opérationnelle de son modèle. Certaines le pratiquent depuis plusieurs dizaines d'années avec une grande réussite.

Est-ce que je m'avance beaucoup en disant que sur le long terme, Gérard Endenburg, grâce à cette clé de transformation des différends en énergie créatrice, et peut-être surtout avec l'attention portée à la mesure minimisant le délire idéologique, aura plus d'influence sur la vie et le bien être des travailleurs que Karl Marx qui a plutôt promu l'affrontement violent entre classes (quelques échanges sur le blog de Jean ZIN sur ce sujet)? C'est pourtant ce que je crois. Et vous, qu'en dites vous?

 

Consensus et consentement

Là où, pour agir, le consensus exige que tous les participants à une décision soient unanimes, le consentement se contente du fait qu’aucun membre n’y oppose d’objection raisonnable. Une objection est jugée raisonnable si elle bonifie la proposition à l’étude ou l’élimine complètement. L’objection n’est plus synonyme d’obstruction mais d’identification de limites, de tolérances qui deviennent les conditions de réalisation de la proposition. Le processus permet de faciliter l’identification de ces conditions et la mise en pratique des décisions. Une objection est une formulation d'une contradiction des choix en cours avec les objectifs poursuivis. Le consentement correspond à l'absence d'objection aux choix en cours.

Une bonne décision est celle à laquelle personne n’oppose d’objection valable, c’est-à-dire une décision qui respecte les tolérances de ceux qui auront à vivre avec cette décision.

Le principe du consentement consacre à la fois la responsabilité et le pouvoir de chacun d’exercer une influence sur son environnement de travail. Le consentement est un acquiescement. Ce respect inconditionnel des limites des personnes est un levier puissant pour garantir en retour leur participation et leur collaboration dans l’exécution des décisions. Ce mode de prise de décisions met l’accent sur la réflexion et l’écoute des arguments de chacun. Il favorise les discussions ouvertes et stimule la recherche de solutions créatives, il force la reconnaissance des besoins de l’autre. Cette façon de procéder élimine les situations gagnant/perdant qui minent constamment l’énergie des groupes et des organisations Toutes les réunions sont animées par un animateur élu par les membres du cercle.

 

Reférence:

La sociocratie par John A. Buck et Gérard Endenburg 2004, traduite en Français par Gilles Charest

Groupe Solid Aire

Auguste Comte, à qui on peut attribuer la paternité de la sociocratie, dans son catéchisme positiviste défend une vision politique de la sociocratie: "Nous venons donc ouvertement délivrer l'Occident d'une démocratie anarchique et d'une aristocratie rétrograde, pour constituer, autant que possible, une vraie socio­cratie, qui fasse sagement concourir à la commune régénération toutes les forces hu­mai­nes, toujours appliquées chacune suivant sa nature. En effet, nous, sociocrates, ne sommes pas davantage démocrates qu'aristocrates. A nos yeux, la respectable masse de ces deux partis opposés représente empiriquement, d'une part la solidarité, de l'autre la continuité, entre lesquelles le positivisme établit profondément une subor­di­nation nécessaire, rem­plaçant enfin leur déplorable antagonisme".

La conception de la participation de DE Gaulle, rapportée par Olivier Berruyer, est très proche des principes qui sous-tendent la sociocratie d'Endenburg. La sociocratie apporte un plus de mise en oeuvre, une boîte à outils testée et validée par l'expérience, ce qui est tout autre chose qau'une simple idéologie de la participation.

Une démarche sociocratique (qui ne dit pas encore son nom) au PS avec Marc Deluzet.

Danone Communities et ses projets sociocratiques.

Les Agilistes s'intéressent de près à la sociocratie.

Une entreprise de fabrication de rillettes.

L'Holacracy, une version TM (Trade Mark, Nom de Marque déposé) américaine un poil différente qui ne cite pas ses sources d'inspiration sociocratiques, Ah les américains, toujours à réinventer et se réapproprier l'eau chaude!

La parresia par Michel Foucault mise en oeuvre dans le principe de protection de l'objection et de l'objecteur. En audio dans son cours du Collège de France de 1984: le courage de la vérité.

La sociocratie par Eugène Fournière, un document détaillé sur la sociocratie théorique datant de 1910. Article très peu connu du monde de la sociocratie lui-même.

Article en Copyheart

Commentaires

  • Bravo pour ce résumé de la conférence et de la sociocratie et merci pour votre témoignage. Il nous reste une tâche immense : lever nos objections personnelles à pratiquer cette manière de fonctionner qui répond aussi précisément à ce à quoi nous aspirons ! Merci

  • Merci pour votre commentaire, Françoise, il va m'aider à approfondir un peu plus la sociocratie et m'encourage à m'orienter vers la pratique.

    (note: Françoise Keller est consultante et formatrice du centre français de sociocratie; coach certifiée C&T® ; formatrice certifiée par le CNVC®)

  • On dirait que t'as pris un coup de chaud, Michel, ton enthousiasme juvénil est touchant!

    Ben figures toi que pour cette fois, je suis d'accord avec toi. Si j'avais pu travailler dans une boîte sociocratique, alors je n'aurais pas hésité une seconde, parce que les petits chefs qui se prennent pour dieu le père, c'est vraiment une plaie. C'est pas que l'envie de leur casser la figure manquait, mais faut bien crouter. Quand aux décisions qui tombent de là-haut à contretemps par des ronds de cuir incompétents, ça donne double boulot, faire marcher la machine et inventer des tas de trucs bizarres qui sonnent bien aux oreilles de ces grattes papiers. Y'a des moments où ça crée quand même des tensions pas très créatives, si ce n'est en blagues féroces sur le dos de ces idiots diplômés. Faut avoir bossé dans des ateliers de grosses boîtes pour connaître tout ça. Donc, si ta sociocratie fonctionne comme c'est dit, que les décisions sont prises et assumées au bon niveau sans que les guss du dessus puissent venir se soulager dans tes bottes, alors chapeau. De toutes façons, ça vaut le coup d'essayer, parce que les rouges qui m'avaient remonté l'espoir dans les années 50-60, on s'est vite rendu compte que c'était une brutalité pour une autre, et en plus faux-cul, plus de classe, plus de chef, c'est ça, goulag et compagnie pour ton bien, encore plus de bureaucrates qui vont jusqu'à décider si tu dois tailler ton crayon avec ton couteau ou à la meule, vrai de vrai!

  • Ben tu vois, Filentrop qu'on peut encore être touché à ton âge! Merci pour tes encouragements colorés.
    C'est assez incroyable, mais le seul fait de penser au système sociocratique me fait diminuer mes angoisses existentielles. C'est pas que je me sentais mal, mais je me sens mieux. Je me sens un peu moins fatigué d'être moi. Etonnant, non?

  • Intéressant résumé... et effectivement ton enthousiasme fait plaisir à voir, tu penses que tu as trouvé la solution à tout ???

    Sache quand même que beaucoup d'entreprises et de dirigeants pratiquent la "sociocratie", sans l'avoir conceptualisée, ni formalisée... une sorte de démocratie directe qui tient essentiellement à la personnalité des dirigeants.

    Le modèle que tu présentes est d'ailleurs très proche des directions paternalistes que nous avions un peu partout dans le monde des années 20 aux années 70... et pour cause il en est issu.

    Juste pour nourrir ta réflexion, je vais reprendre quelques-unes des affirmations de ce modèle que tu nous rapportes :

    1 - "Plus l'information qui circule dans le système est fiable et accessible et meilleur est le fonctionnement." ; oui, à la condition expresse qu'il y ait des gens pour l'entendre, la recueillir et l'utiliser à bon escient ! Bref, le plus intéressant des systèmes démocratiques ne peut reposer que sur des gens qui savent l'utiliser, sinon ça ne fonctionne pas...

    2 - "...tous les éléments fonctionnels d'un système ont la même valeur dans le sens où si l'un d'eux vient à défaillir, c'est le système entier qui est en panne." ; là, c'est carrément faux, ça n'est pas ce qu'on observe dans les entreprises, ni dans les systèmes... Seuls quelques points nodaux stratégiques ont une importance centrale, dont découlent les hiérarchies des tâches... Tu ne vas pas me dire, pour prendre un exemple extrême, qu'un balayeur a autant d'importance que celui qui négocie les contrats commerciaux ; au risque de décevoir nos visées égalitaires, ce serait un déni de réalité...
    Par contre, l'expérience et l'analyse fonctionnelle révèlent souvent que les vrais centres de décision ne sont pas souvent ceux qui sont donnés par la hiérarchie officielle de l'entreprise. Par exemple, j'ai connu des patrons qui étaient plus dirigés par leur secrétaire, qu'ils ne dirigeaient réellement eux-mêmes.
    C'est la clarification des points nodaux qui est importante, pas de partir d'une prémisse qui voudrait que parce qu'une seule personne s'absente tout le système serait paralysé, c'est totalement faux. D'ailleurs pour qu'une entreprise fonctionne, j'ai toujours pris soin, après avoir identifié ces points nodaux, de les rendre redondants pour qu'en aucune manière l'entreprise ne soit paralysée par une défaillance de la ou des personnes qui gèrent ces positions stratégiques...

    3 - le "double lien" est un concept très intéressant. C'est à mon avis un problème central de toutes les véritables démocraties. Ce retour permanent entre la direction et ceux qui sont "dirigés" ; c'est ce qui manque principalement dans les entreprises, mais également dans nos institutions. C'est une des rares façons d'instituer des véritables contre-pouvoirs contre les abus et les dérives démocratiques, mais aussi de garder les directions dans un contact humain avec ceux dont ils décident du destin.
    Seulement, tu remarqueras que ça n'est possible que parce que les dirigeants ont la volonté personnelle de fonctionner ainsi !!!...
    Pour mémoire, dans la première mouture des lois Auroux (1982) était inscrite la participation des représentants de salariés dans les instances de direction avec un pourcentage de voix attribué... Dans les milieux patronaux, il se disait déjà, que ça n'était pas si grave, cela obligerait juste les CA à faire des réunions sans les représentants des salariés où se prendraient les vraies décisions, et à faire des réunions formelles, où il ne se passerait rien, juste pour respecter la loi... La loi ne résout pas tout et peut toujours être pervertie...

    4 - c'est un mythe de penser que l'auto-organisation est une tendance "naturelle" des groupes. Des fois oui, des fois non, là encore ça dépend essentiellement des qualités des personnes qui composent ces groupes.

    Alors oui, ce que tu nous exposes est un système intéressant, mais il ne résout en rien la nécessité d'avoir un patron qui décide en dernier ressort... et donc, tout le système repose sur les qualités de celui-ci... une faiblesse assez problématique de cette "belle histoire"... même si les process formalisés sont une bonne base de travail, cependant en aucune façon ils ne peuvent constituer une panacée... À ce niveau-là, j'ai expérimenté d'autres modèles possibles, qui permettaient même au patron de s'absenter, sans que ça n'ait aucune incidence sur la marche de l'entreprise.

    Une organisation se décide en fonction des objectifs, des contraintes environnementales et des ressources internes de l'entreprise, sans oublier la volonté des dirigeants. En aucune manière, tu ne peux plaquer ce genre de modèle d'organisation sur n'importe quelle entreprise ou organisation groupale... entre autres, pour toutes les organisations qui nécessitent des temps de décision très courts et une réactivité extrême, ce modèle serait totalement suicidaire ; par exemple, toutes les armées qui essayeraient d'adopter ce modèle seraient forcément battues à plate couture par n''importe quelle autre armée hiérarchisée... même la guérilla nécessite une organisation hiérarchique forte pour être victorieuse...

    Voilà, je vais m'arrêter là, pour répondre à ton article et à tes mails, parce que sinon, je vais totalement te désespérer et ça n'est pas le but. Juste de te faire comprendre, encore une fois, que les modèles ne sont vrais que par rapport au contexte où ils ont été énoncés.

    Bon week-end, amitiés.

    Toto

  • Merci pour tes commentaires, Toto ils me permettent de développer un peu.
    Pour le moment, tes arguments n'attaquent en rien mon enthousiasme, parce que d'une part je ne crois pas que la sociocratie soit le remède à tout (elle répond à mon interrogation de combinaison de moyen de prise de décision sans abus de pouvoir ou sans pouvoir paternaliste) et d'autre part parce que je crois que tu passes à côté de l'essentiel, la sociocratie est une organisation mais c'est aussi une dynamique. Cette dynamique c'est celle créée par cette tension entre les niveaux hiérarchiques où le désir et la capacité de maîtriser les décisions et de garder cette maîtrise dans un cercle l'emporte sur les conflits et permet de les surmonter en étant créatif. Plutôt trouver nous mêmes une solution à l'intérieur d'un cercle que de se la voir imposer de l'extérieur. Je dis bien permet et non permettrait parce qu'il s'agit d'un retour d'expérience sur 60 cas d'entreprises et une durée de 20 ans qui ont adopté ce système.
    La question du patron ne se pose pas en termes paternalistes comme tu le fais, il y a un cercle de direction qui fonctionne comme les autres ou presque (il n'a pas de niveau n+1).
    D'autre part, je ne peux pas m'empècher de rapprocher les valeurs que véhicule la sociocratie avec celles de la génération Y. La convergence est excellente, en particulier l'acceptation d'une hiérarchie, mais pas celle d'une domination paternaliste ou bestiale et le partage de l'information le plus large possible. Il se révèle aussi que les valeurs écolo pénètrent sans difficulté les organisations sociocratiques du fait de leur bonne liaison avec le monde (toujours cette prise en compte de l'information et la règle fondatrice de ne laisser de côté aucune objection raisonnable).

    Sur le plan de ton analyse de l'importance de chacun, elle est décalée par rapport à l'analyse d'Endenburg. Ton analyse fonctionnelle est classique, mécanique, alors que l'analyse d'Endenburg est humaniste. On pourrait la formuler comme ça: si l'objection raisonnable d'un seul des employés est négligée, alors ce sont les objections raisonnables de tous qui sont dévalorisées. Le pari fondateur et le point de départ de la sociocratie est bien: plus aucune objection raisonnable d'aucun employé.

  • Il ne s'agit pas d'attaquer quoi que ce soit, juste te faire remarquer les faiblesses du dispositif, les prémisses erronées et l'importance du contexte initial pour que cela fonctionne...

    Ça n'est pas un problème de différence de type d'analyse, juste des rappels de réalité.

  • Bon, je croyais t'avoir répondu, ou plutôt à tes arguments que je pensais avoir compris, sans faire d'impasse sur les réalités en jeu. Pour le moment, je vois pas ce qui m'échappe.
    Je vais essayer d'en savoir un peu plus sur les expériences en cours pour savoir un peu mieux ce qu'il en est, parce que je me fonde sur le retour d'expérience d'une collaboratrice de Endenburg dont je n'ai pas relevé le nom et qui dit avoir mis en place dans des entreprises plus de 60 organisations sociocratiques en Hollande.

  • Je te rappelle que j'ai également lu le document que tu m'as envoyé et je regrette que l'exemple cité soit celui d'un "salon de coiffure"... J'aurai préféré qu'on m'explique comment ça fonctionne dans une usine de voiture par exemple ou dans une entreprise soumise à un environnement à multiples contraintes... parce que ce qui est relativement aisé pour des petits groupes sociaux (où les hiérarchies sont horizontales, où le lien direct est omniprésent et où il n'y a bien souvent pas besoin de formaliser quoi que ce soit à par le QQQOCP) devient beaucoup plus compliqué dès que nous atteignons les structures complexes, avec des systèmes d'interdépendances très forts et des intérêts divergents...

    Tu sais l'auto-organisation, c'est la première forme d'organisation structurelle que j'ai expérimentée dans un groupe social de 300 à 400 personnes... C'était sur un camp de vacances expérimental où tout était autogéré, mais où il y avait quand même un "patron"... Il y a des semaines cela fonctionnait très bien et d'autres où on a frisé la catastrophe... tout cela en fonction des individus présents et de leur niveau de responsabilisation personnelle, alors que tout le monde disposait des mêmes outils démocratiques (très semblables d'ailleurs à ceux que les sociocrates décrivent).

    Donc non, je ne suis absolument pas persuadé que cela fonctionne dans tous les cas de figure... et en tout état de cause, je te réitère que cela tient essentiellement à la personnalité des dirigeants que ça fonctionne ou pas...

    Il y a eu une époque où il ne se passait quasiment pas un mois, sans que les revues spécialisées ne fassent état de nouveaux modèles de management d'entreprises tous plus "révolutionnaires" les uns que les autres (les Anglo-saxons notamment avaient toujours le dernier truc à la mode pour le meilleur de l'entreprise)... ça me faisait doucement rigoler, moi qui étais confronté au quotidien de 300 entreprises qui appliquaient déjà plein de "modèles"... Alors, je te le répète, la bonne méthode, c'est celle qu'en fonction de son environnement, de ses contraintes, de ses objectifs, de ses ressources internes et de son patron, une entreprise peut optimiser au mieux... Il n'y en a pas d'autres. J'ai vu tellement d'organisation s'enliser sous prétexte d'application de procédures sorties des bouquins que je sais de quoi je parle...
    Dire que la sociocratie, c'est super, c'est comme dire que la méthode globale est bonne pour tous les enfants, pour apprendre à lire ; ça n'a tout simplement pas de sens dans la réalité, sauf si on préfère la "sécurité" des doctrines à la recherche de solutions adaptées.

  • Ce qui me gène un peu dans tes remarques, c'est que tu ne fais pas du tout ressortir ce qui est spécifique à l'organisation sociocratique par rapport aux autres modèles d'auto-organisation. Tu me ramènes toujours au patron, alors que ce patron est issu d'un processus interne avec cette organisation (sauf au lancement). Certaines entreprises ont même débuté la mise en place de ce modèle pour choisir leur patron dans le cadre d'une succession (les quelques principes ne disent pas tout de la façon de faire, loin de là).
    Moi j'y vois des spécificités décrites plus haut. Par exemple cette façon de prendre en compte l'énergie, le désir, d'une manière qui me semble très convaincante, alors que je n'ai vu cette disposition nulle part ailleurs. En général, on passe d'une structure hiérarchique classique avec un mode "darwinien" de sélection et de fonctionnement des dirigeants (c'est éprouvé depuis la nuit des temps, éventuellement paternaliste si les chefs sont bienveillants) à des structures où on favorise l'égalitarisme sans vraiment prendre en compte efficacement le règlement des conflits et la prise de décision, alors elles se cassent la figure quand des problèmes un peu difficiles surgissent ou par développement d'une certaine langueur. Ce n'est pas le cas ici.

  • Mais, qu'est-ce qu'il y a de spécifique ?????? C'est à toi qui as étudié le modèle (vraiment à fond ?) de le dire, parce que moi, je n'y vois strictement rien que je n'ai déjà vu à l’œuvre dans des entreprises et groupes sociaux, sans qu'ils n'aient besoin d'appeler ça "sociocratie" ... avec des formules et fortunes diverses et variées...

    Peut-être que tu as une vision trop limitée du nombre de modèles d'organisation pour te rendre compte que celui que tu nous présentes aujourd'hui, s’il est néanmoins intéressant dans certains cas, n'a pour autant rien de révolutionnaire... sauf peut-être, le fait que cela se soit prolongé par un mouvement qui reprend tous les schémas des prêches des évangélistes doctrinaux.

  • Hem, dérapage en cours. Ton allusion à l'évangélisme est très contestable (coup bas) et contestée, par exemple dans ce texte sur la polyphonie protestante §27.
    http://histoire-education.revues.org/index1347.html
    Ce qui ne signifie pas qu'il n'y a pas des points de doctrine proches (règlement non violent des conflits, mais j'ai rien à redire là-dessus), mais la sociocratie n'a pas de finalité en soi, c'est un outil, alors que c'est le principal objet de l'évangélisme. D'ailleurs, le catéchisme positiviste d'Auguste Comte s'oppose franchement à tout fétichisme religieux:
    « Au nom du passé et de l'avenir, les serviteurs théoriques et les serviteurs pratiques de l'HUMANITÉ viennent prendre dignement la direction générale des affaires terrestres, pour construire enfin la vraie providence, morale, intellectuelle, et matérielle; en excluant irrévocablement de la suprématie politique tous les divers esclaves de Dieu, catholiques, protestants, ou déistes, comme étant à la fois arriérés et perturbateurs. » Telle fut la proclamation décisive par laquelle, au Palais-Cardinal , je (Auguste Comte) terminai, le dimanche 19 octobre 1851. après un résumé de cinq heures, mon troisième Cours philosophique sur l'histoire générale de l'Humanité"

    Disons que ce qui est spécial, c'est le "consentement sous tension". Il y a une forte distinction entre consensus et consentement qui mériterait un développement. Je t'accorde que le mot de sociocratie est pompeux, mais il est cohérent avec la façon de faire.

    Pour avancer, est-ce que tu peux m'indiquer (si t'as des liens c'est mieux) des exemples d'organisation qui soient proches de la sociocratie ou qui peuvent même s'en réclamer (l'appellation n'appartient pas à Endenburg)?

  • Je vais faire mieux que de te donner les 50 à 100 références de type de management, de structuration d'entreprise et de système démocratique... Je vais t'envoyer en toute confidentialité mon mémoire d'expertise-comptable pour que tu comprennes la différence entre plaquer un modèle (limite doctrinal) pour déterminer une organisation, et réfléchir à la structure optimale en fonction du contexte... Tu verras que la démarche n'a rien à voir avec celle de tous ceux qui ont "vu la vierge".

    Pas un coup-bas, juste une similitude de ton qui m'agace quelque soit l'endroit d'où cela provient quand j'entends : "on a trouvé la panacée à tous les maux humains " ; ou quelque chose d'approchant.... Non, ils ont trouvé leur remède à leur problème, pas à celui de tous les humains.

  • OK, merci, j'attends ton document avec impatience.
    Endenburg propose un outil sociocratique cohérent, pas une solution miracle, je suis OK avec ça et ce n'est d'ailleurs pas sa prétention. Mais cet outil assez bien construit et éprouvé pour que j'aie envie d'aller plus loin.

  • Quel satisfaction ce site Web, on ne déniche que des articles intéressants.
    J'aime passer sur votre site Web pour me changer les idées.
    D'ou vous provient cette imagination, car tenir un blog c'est beaucoup de temps.

  • Merci Vitrier, pour le compliment, c'est quand même assez peu courant pour que j'y sois insensible. J'ai une recette, je vous la passe, j'écoute peu la radio quand un thème commence à faire son chemin. Comme je passe deux heures de trajet par jour pour me rendre à mon travail, mon esprit a tout le temps de divaguer et je lui laisse la main. La forme blog est très libre et permet aux esquisses d'exister.

  • Cette discussion montre que le niveau de conscience pour aborder l'intelligence collective ou la sociocratie n'est pas neutre. Autrement dit, il est nécessaire d'avoir quelques pré-requis ... les réserves d'Incognito en apportent la preuve.
    Je considère pour ma part que la sociocratie est un outil puissant qui permet surtout de faire évoluer la culture de l'entreprise et les relations entre ses différents acteurs.

  • Dussaucy,
    Les remarques d'Incognitototo me sont toujours précieuses, ce qui ne m'empêche pas de les discuter, il n'est pas Dieu le père non plus malgré sa grande expérience. Et puis, les blogs, c'est justement aussi adapté pour aider à se former un jugement.
    "La sociocratie, un outil pour faire évoluer la culture d'entreprise": oui, je suis bien d'accord avec ça. Mais sur un plan plus général, on peut aussi tenter de se replonger à la bifurcation de la fin du 18ème qui nous a conduit sur un chemin très individualiste, ce qui se comprend très bien si on prend en compte ce formidable désir de s'affranchir des lourdeurs communautaires de l'époque. Auguste Comte avait très bien pressenti où nous mènerait cet individualisme et c'est pour cette raison qu'il propose une prise en compte moderne du collectif, sans trouver de moyen de mise pratique efficace. Endenburg propose une forme sociocratique adaptée aux organisations qui semble assez convaincante (je suis toujours en cours de formation de mon jugement). Mais je ne crois pas que sa formulation puisse avoir une portée politique générale. C'est un sujet qui m'intéresse.
    J'ai trouvé sur le net que vous étiez conseiller en management version intelligence collective et éventuellement par consentement, cad sociocratie. Est-ce que le nombre d'entreprises qui s'engagent dans cette voie est en net accroissement?

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