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  • La question de la qualité, du convivialisme et de la politique moléculaire, la société des participants.

    Il me semble qu’on peut représenter la société comme une source d’énergie à laquelle nous avons besoin d’être connecté, en interaction, et pas seulement comme consommateur, mais comme acteur, ainsi que le rappelle Alain  TOURAINE dans son livre « Qu’est ce que la démocratie » où il définit les conditions d'existence de l'individu p.33: « Le sujet, dont la démocratie est la condition politique d'existence, est à la fois liberté et tradition. Dans les sociétés dépendantes, il risque d'être écrasé par la tradition: dans les sociétés modernisées, d'être dissout dans une liberté réduite à celle du consommateur sur le marché.»

    Une société accueillante offre une place, une connexion, à chacun en fonction de ses capacités et affinités. Il ne s'agit pas d'une connexion statique, mais plutôt d'un lien vivant, lien qui déterminera en partie l'évolution des capacités et des affinités. Notre société est une société de l’exclusion, autant sur le plan quantitatif des places qu’elle propose que sur le plan qualitatif. Réussir à y trouver une place est déjà difficile et n'est pas donné à tous, ainsi qu'en témoigne le taux de chômage et d'isolement des personnes. Les personnes ayant une place de choix (de leur choix) constituent l’exception, à l’opposé de ce que nous devrions nous donner comme règle. La question des retraites se pose avec acuité, pour la grande majorité, du fait de la qualité des places dites actives. Il existe des professeurs émérites, mais pas d’ouvrier émérite.
    La révolution qualitative concerne aussi bien les organisations que le périmètre de leur action, comment leur action s'inscrit dans l'activité globale de la société. Elle se cherche depuis assez longtemps, comme l’illustre ce paragraphe de Jorion dans son billet du 5 février 2013:
    L’économie sociale et solidaire est née durant la première moitié du XIXe siècle, elle est l’enfant de la Révolution de 1789, ou plutôt, elle est l’enfant de la réflexion furieuse qui naquit à partir d’elle, sur ce qui était perçu par les uns avoir été son échec (pour Charles Fourier par exemple) et par d’autres comme une réussite partielle qu’il convenait maintenant de prolonger et de concrétiser (ainsi, pour Louis Blanc). Réflexion qui ne se limita pas, faut-il le dire, à la France seule : l’expression la plus aboutie du mouvement coopératif ne fut-elle pas celle de Robert Owen en Angleterre dans un premier temps, aux États-Unis ensuite ?
    Les années 1820 à 1840 constituèrent l’Âge d’Or de l’économie sociale et solidaire : naissance et floraison des coopératives de production, de distribution ou de consommation, phalanstères, « colonies », « communes », monnaies alternatives, systèmes d’échange sans monnaie, se répandirent comme une traînée de poudre à la surface du globe ; rien ne semblait pouvoir faire obstacle au mouvement. La révolution de 1848 apparut dès ses premiers jours comme le moment venu de l’institutionnalisation de cette déferlante : la « commission du Luxembourg », créée le 28 février, en était chargée. Elle est présidée par Louis Blanc, auteur en 1839 du livre-manifeste qui faisait désormais autorité : L’organisation du travail.
    Dans les années 60 à 80, le PSU de Michel Rocard a retravaillé ce thème d’une économie qualitative qui lui tenait à coeur à l’époque. Un peu avant l’élection de Mitterand, la mouvance autogestionnaire avait le vent en poupe. Le Journaliste Domergue s’est penché sur ce flop:
    *Manuel Domergue aux 4ème débats interactifs de l’Adels le 4/12/2004: “…il semble que le socialisme autogestionnaire des années 70 soit resté essentiellement à l’état de discours, sans recouvrir une réalité sociologique significative. Cette mode intellectuelle serait donc restée éphémère car elle n’était pas partagée par la base, et n’a pas réussi à innerver la société en profondeur. Même les célèbres « Lip », les fabricants de montres de Besançon qui ont fait tourner leur usine illégalement pendant une grève, derrière leur slogan « On fabrique, on vend, on se paie », ne réclamaient pas vraiment l’autogestion de leur entreprise. Lors de leur premier conflit, en 1973, pour contester un plan de restructuration, ils cherchaient un repreneur, et ont rejeté les propositions de reprise en coopérative. Bref, à l’époque, on a fabriqué de l’utopie, elle s’est bien vendue, mais on s’est payé de mots.”

    Françoise Dolto analyse l’échec des communautés post-68, aussi tournées vers la qualité, c’est pp164-168 de son livre “solitude” et je cite ce passage p74 de l'historique de l'Etat Providence Participatif. Après la phase d'installation qui semblait prometteuse, Dolto rapporte que "les perturbations sont apparues après parce que ces communautés se dissociaient pour des raisons œdipiennes rémanentes des adultes, des intrigues, des jalousies, des envies de rivalité fraternelle ou sororale. Celui qui, lorsque c'était son tour, dirigeait le mieux la maison devenait comme le père. Celle qui faisait la tambouille la meilleure et la plus économique devenait la mère de la communauté. Puis, finalement, tout se rejouait par rapport à ces rôles, même temporaires -racontars, potins- comme dans les familles pathogènes."
    Les écolieux qui se sont développés dans les années 2000 connaissent la même désillusion. Jean de la Houle, parti prenante de ce mouvement, tente d’analyser les raisons de cet échec:
    L’échec des communautés et des écolieux tient dans les points suivants:
    Principalement à cause de “l’esprit d’indépendance” des Français, de l’importance de leur ego, de leur refus d’accepter que pour que des personnes se rencontrent et bâtissent ensemble, il est nécessaire que chacun “incurve sa trajectoire individuelle” pour arriver à une trajectoire commune sans laquelle aucun cheminement commun n’est possible, sans laquelle aucun écolieu n’est vivable et pérenne. Mais c’est impossible puisque chacun estime que sa trajectoire est la seule bonne, et que c’est çà l’autre de changer :
    La position “propriétaire” (donc décisionnaire) de celui qui est à l’origine du financement principal, crée de fait une autocratie non-dite qui empoisonne vite les relations et détruit ou rend impossible tout esprit de participation/construction.
    Pour les écolieux, les propositions mises en commun et partagées sont insuffisantes en comparaison avec les complications juridico-administratives et les inconvénients afférents, et la “mayonnaise ne tient pas”
    Pour les communautés, la croyance que le choix “politique” est en soi suffisant et dynamisant pour unir les participants. Ce n’est pas parce qu’on choisit “politiquement” la liberté affective et sexuelle qu’on résout de fait les problèmes de jalousie et de possessivité.
    La croyance que partager un beau paysage, l’idéal écologique et une tondeuse à gazon, sont des raisons suffisantes pour que les gens se sentent unis et motivés. C’est trop peu, la “mayonnaise” ne prendra pas."

    De mon côté, j’ai tenté d’analyser les raisons de cet échec et je propose de prêter plus d’attention à la façon dont nous combinons nos libertés dans un groupe et à la façon dont nous sélectionnons nos leaders. Deux questions me servent de jauge : “qui décide quoi et comment?” et "Quel est le statut de l'information, comment sont traitées les objections et les objecteurs?".
    Il me semble que les possibilités de réforme se situent au niveau de la façon dont nous organisons les groupes. C’est en quelque sorte une proposition de “politique moléculaire”. Les règles d’organisation de la sociocratie, qui sont en parfaite adéquation avec le nouveau mouvement convivialiste, me semblent apporter un élément opérationnel aux bonnes dispositions de ce convivialisme. Je regarde avec insistance du côté du modèle de politique révolutionnaire moléculaire de Jean Zin avec sa proposition de coopérative municipale+revenu garanti (et non revenu d’existence qui laisse en plan le volet institutionnel)+monnaie locale. Je regarde aussi avec insistance la réalisation de la Maison des sources de Besançon qui réussit l’exploit de fournir un cadre de co-création de places de qualité aux personnes les plus exclues de l’économie standard. Les membres de la Maison des sources sont nommés "participants" et c'est bien ce qui se passe.  Peut-on coupler les théories de Jean Zin avec cette magnifique réalisation? Si c’est possible, la question des retraites ne se poserait pas du tout de la même façon, elle deviendrait un élément comme un autre de notre connexion à la société tout au long de notre vie, notre qualité de participant pouvant finement s'accorder et s'actualiser, dans la mesure du possible. Les Babayagas me semblent sur la bonne voie pour assurer leur connexion à la société pendant la retraite. Est-ce que la fécondation de la Maison des sources par la coopérative municipale peut passer le scratch test du massacre nécessaire des utopies?

    La révolution numérique en marche risque de tellement bouleverser notre lien à la société via l'emploi que notre qualité de participant va de plus en plus avoir besoin d'une "multiprise" évolutive pour que nous puissions rester connectés. Bernard Stiegler propose une vision de cette évolution et entrevoit la possibilité d'une économie de la contribution, mais sans préciser l'étayage institutionnel. Une politique moléculaire, c'est à dire une action volontaire de structuration locale de groupes adossés à une institution , me semble à la fois la plus réalisable et la plus souhaitable (le cadre municipal me semble le meilleur), pour parvenir à nous adapter, en tant qu'individus doués d'autonomie et de savoirs, de façon sociabilisée et hospitalière, aux conséquences de la révolution numérique.

    Michel Abhervé prône un renforcement dialectique entre IAE et ESS. c'est à dire entre la sphère économique et la sphère sociale.

    Hugues Sibille retrace un historique de l'ESS et déplore son manque de stratégie vis à vis des pays du sud.