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Amin Maalouf, encore un petit effort!

Identités cognitives contre identité essentielle.

 

Vous savez qu’Obama est communautarien ? C’est en tout cas ce qu’a expliqué Julie Clarini dans sa chronique « Les idées claires » du 23 Juin 2011. Je la cite :

«..l’historien James Kloppenberg, spécialiste de l’histoire intellectuelle américaine,… voit chez Obama tous les traits d’un homme marqué par la pensée communautarienne. Le mot n’évoque rien de ce repoussoir qu’est pour nous en France la communauté, ou au communautarisme. C’est une école philosophique qui répond au libéralisme en l’attaquant sur sa conception de l’individu ; le libéralisme postule un individu sans attache, exclusivement rationnel ; cet être-là n’existe pas aux yeux des communautariens pour qui l’homme est autant relationnel que rationnel. La dépendance vis-à-vis de l’autre est tout aussi constitutive de l’homme que sa raison. L’homme est toujours issu d’un groupe et porteur de valeurs qui le façonnent. »

J’ai voulu creuser un peu plus la question et je n’ai pu éviter quelques textes très documentés d’Alain de Benoist sur cette controverse américaine libertarien-communautarien . Depuis quelques temps, je mène une réflexion qui m’a emmené du côté d’Auguste Comte et de la sociocratie qui pourraît très facilement s’inscrire dans la généalogie de la pensée communautarienne, tant elle a de points communs avec elle. La fécondation de la pensée d’Auguste Comte avec la cybernétique a permis à Gérard Endenburg d’appliquer la sociocratie de façon cohérente au management socio-organisé de son entreprise dans les années 70-80. Son expérience se poursuit aujourd’hui dans le monde entier sous l’égide du « Global Sociocratic Centers Website ». Je voudrais souligner que la sociocratie d’Endenburg tient plus que tout à ce que l’entreprise ou l’organisation ne soit plus le siège « d’aucune objection argumentée d’aucune personne», ce qui est cohérent avec une démarche systémique pour laquelle plus l’information disponible est juste et large et mieux il sera possible de guider le système. Il s’agit donc d’un mode d’organisation qui non seulement n’écarte pas les objections des participants, mais de plus les souhaite et s’en enrichit. Ce n'est en effet pas en tapant sur le messager parce que son message ne nous plaît pas qu'on change la teneur du message, ou casser le thermomètre ne fait pas chuter la température...

Alain de Benoist est connu pour ses anciens liens avec l’extrême droite et quelques démêlées avec le MAUSS et j’étais quelque peu troublé par cette proximité qui me semblait contre nature entre son penchant communautarien et l’extrême droite. Pas moyen pour moi de mettre Obama et le FN dans le même sac. Dans un premier temps, j’ai pensé que ce temps était révolu, qu’Alain de Benoist avait évolué. Mais non,  il en ressort qu’il adhère aux thèses essentialistes très élaborées de Michael J. Sandel sur l’identité, thèses que chacun peut retrouver, soit parfois en clair, soit en filigrane, dans les thèses du FN. Je cite Alain de Benoist :

"Les communautariens affirment ainsi que tout être humain est inséré dans un réseau de circonstances naturelles et sociales qui constituent son individualité et déterminent, au moins en partie, sa conception de la vie bonne. Cette conception, ajoutent-ils, vaut pour l’individu, non en tant qu’elle résulte d’un « libre choix », mais parce qu’elle traduit des attachements et des engagements qui sont constitutifs de son être. De telles allégeances, précise Sandel, « excèdent les valeurs que je peux maintenir à une certaine distance. Elles vont au-delà des obligations que je contracte volontairement et des “devoirs naturels” que je dois aux êtres humains en tant que tels. Elles sont ainsi faites que je leur dois parfois plus que la justice ne le demande ou même ne l’autorise, non du fait des engagements que j’ai contractés ou des exigences de la raison, mais en vertu même de ces liens et de ces engagements plus ou moins durables qui, pris tous ensemble, constituent en partie la personne que je suis".

La boucle est bouclée, le glissement subtil vers l’identité essentielle, communautariste, semble alors fondé.

L’accès d’Amin Maalouf à l’Académie Française m’a remis en mémoire son livre sur « Les identités meurtrières« . Dans ce livre, il dépeint la cohabitation de plusieurs identités en lui, sans qu’il éprouve le besoin de nier l’une au profit de l’autre. Il s’attaque, ainsi que le titre l’indique, aux identités exclusives, aux identités vécues comme essentielles, c’est à dire faisant partie intégrante de notre personne, ces identités meurtrières. C’est un livre que j’avais beaucoup apprécié à sa sortie, me sentant moi-même habité d’une multitude d’identités (rural, urbain, Breton, Français, Européen, citoyen du monde, catholique, agnostique, animiste sur les bords…) et ne me sentant pas dans l’obligation de choisir l’une ou l’autre au détriment de toutes les autres. A sa façon intuitive et réflexive, Amin Maalouf nous accompagne dans une découverte de notre vie intérieure qui nous éloigne d’une vision nauséabonde de l’identité, qui nous éloigne du « français de souche » et des thèses identitaires castratrices et pathologiques propres à tous les fascismes.

Si Amin Maalouf nous éloigne de l’identité animale de la meute en nous démontrant la pluralité de nos habitus, il ne fait toutefois pas le saut qualitatif qui nous ferait résolument percevoir l’identité humaine comme un processus cognitif et non comme un processus proche de l’empreinte animale. C’est ce petit effort supplémentaire que j’aimerais le voir accomplir pour nous aider encore un peu plus à nous débarrasser des identités meurtrières, à passer de sa vision multiculturaliste à une vision communautarienne (je n’ai pas dit communautariste) ou sociocratique cognitive. Nous passons d’un milieu social à un autre en un éclair, nous pratiquons les codes propres à l’entreprise, à l’association, à la famille, au groupe d’amis… chacun pouvant prétendre à un morceau de notre identité, alors que ces codes peuvent être incompatibles, certains se rapportant à une hiérarchie puissante, alors que d’autres sont égalitaires. Est-ce pour cette raison qu’on peut nous affubler de schizophrénie ? C’est que l’identité est en fait un processus cognitif, un apprentissage et non une essence. Ce qui peut nous donner l’illusion de l’identité-essence, c’est la complicité qui peut se développer entre les pratiquants aguerris du même jeu de codes, c’est le goût de la subtilité partagée qui procure cette illusion. Certains éléments de code comme les phonèmes, et sans doute bien d’autres, sont plus difficiles à acquérir avec l’âge, ce qui renforce probablement l’illusion de l’identité-essence.

Je crois que le courant communautarien moderne s’écarte des anciennes thèses essentialistes de l’identité et est assez en phase avec cette vision dynamique et systémique de formation d’un jeu de codes communs. Le communautarisme à l’ancienne écarte et réprime les objections, ainsi que les objecteurs, alors que la bonne compréhension du guidage des systèmes conduit au contraire à encourager et organiser les objections et faire une place à chacun des objecteurs. C’est, je crois, toute la  différence entre l’organisation communautarienne ou sociocratique et l’organisation communautaire classique. Le statut de l’identité, essentialiste ou cognitive, y joue un rôle de premier plan

Il reste le poids de l’engagement. Dès lors qu’on s’engage pour une cause, quelle qu’elle soit, notre perception s’en trouve radicalement transformée. L’engagement est peut-être le moteur de transformation le plus puissant de l’identité cognitive dans l’illusion de l’identité-essence. Le tableau de Magritte « Ceci n’est pas une pipe » peut-il nous aider à remettre la perspective à l’endroit ? A faire en sorte que nous soyons habités par nos identités mais que celles-ci ne nous possèdent pas ? A nous soigner de notre folie identitaire essentialiste et meurtrière universelle ?

Vous avez un truc pour ça, vous ? La laïcité peut-être ?

Billet invité cousin sur le blog de Paul Jorion

 

Le livre en ligne de Jean Zin: Le sens de la vie

dans lequel il développe une vision "cognitive dès la première cellule" du vivant passionante sur laquelle il articule la finalité, le sens de la vie, donc.

Commentaires

  • Merci Michel, et bravo pour cet article. Tu poses souvent plus de questions que tu n'y réponds, mais c'est ça qui fait, entre autres, ta grande valeur.
    Tu seras ma prise de conscience du jour... Je ne m'étais jamais fait cette réflexion de comment je fais à endosser autant d'identités, puisque moi-même je le vivais comme un continuum, alors que tu as tout à fait raison, c'est faux ; chacun d'entre nous, par la force des choses, est constamment obligé d'en adopter plusieurs, comme tu le soulignes si justement.
    Un beau sujet de réflexion qui m'avait totalement échappé, alors que je m'interroge perpétuellement comme toi sur les liens entre les individus et les groupes.

    C'est vraiment à creuser, je pense que tu viens de soulever un lièvre de la taille d'un éléphant qui échappait à la vue de tout le monde ; et qui compte tenu de ses implications opérationnelles politiques est très important.

  • Bien sûr, ton commentaire me touche beaucoup et je me retrouve un peu comme une poule avec un couteau! Tiens, je vais ronronner un coup pour voir:-)

  • Ça me fait penser que l'Analyse Transactionnelle a assez bien décrit les différents états du Moi (adulte, parent, enfant, et cetera) qui sont en interaction avec l'environnement. J'ai toujours pensé que cette psy (assez comportementaliste) avait quelque chose de réducteur pour aborder l'humain. Mais finalement, si on recadre ces concepts dans le champ politique et social, on peut peut-être en tirer quelque chose, sur pourquoi, par exemple, nous ne pouvons pas être adulte tout le temps, ... et plus généralement, pourquoi, nous sommes protéiformes, capables de nous comporter de différentes façons en fonction des contextes et d'où nous venons...

    Tu as pondu un oeuf ??? Si oui, alors garde-le précieusement, c'est une preuve absolue que nous sommes beaucoup plus que ce à quoi les mots nous réduisent ;o)))))

  • je n'ai pas lu le livre de MR Amin Maalouf. le résumé de Wikipédia, explique la thèse de l'auteur qui est la suivante : l'identité est un bien commercial, dont la valeur n'est pas reconnue.

    Il propose donc de faire la même chose que pour la mondialisation du commerce des biens matériels depuis la fin de la seconde guerre mondiale : baser les échange sur la réciprocité.

    Tout cela serait bien beau si le concept de réciprocité dans le commerce des biens matériels n'avait pas posé de multiples problèmes.

    Mon opinion est simple concernant ce livre, votre ambition, le projet d'une uniformisation des cultures ET donc des langues a clairement été formulé ( voir esperanto, etc...).
    Vous émettez des opinions générales sur la cognition, la psychologie en générale, mais omettez d'admettre que ces approches sont très superficielles, et ne rendent pas compte de ce qui a fait la diversit des langues et des cultures chez les hommes,
    Vous voyez la multiplicité comme une quantité qui refléterait un fonctionnement probabiliste et fini de l'esprit humain, La conséquence immédiate est que vous croyez sincérement que le fondement de l'identité et de l'esprit et la norme, d'ou votre obsession à proposer un monde ou les cultures ont des frontières dont certaines doivent se recouvrir.

    Il n'y a la rien de nouveau, et l'humanité a beaucoup a y perdre, quelques hommes croient avoir beaucoup à y gagner : l'identité ne serait qu'une quantité, la qualité n'existe pas ou en tout cas elle n'appartient pas aux hommes, c'est cela le processus de réciprocité dans le commerce et la mondialisation : la qualité est une norme, l'identité sont des aspects quantifiables de la norme...
    N'ayez pas froid aux yeux, allez au fond de votre pensée, car vous ne le faites pas.

    Les mots ne sont pas réducteurs, c'est l'humain qui est limité, la technologie ne change pas cela,

    Tout cela me semble relever d'un rapport ambigu/positiviste avec le réel, processus ou l'expérimentation devrait pour une raison aussi mystérieuse qu'idéologique s'affranchir d'un empirisme des faits ( empirisme qui est plus de l'ordre du fantasme que de la connaissance approfondie du fonctionnement de l'identité/esprit humain).

    Mais bon comme il s'agit d'un processus que vous vendez plus que vous ne le pensez, tout ce que je peux dire a aussi peu d'importance que de dénoncer le role de la réciprocité dans les déséquilibres du monde actuel.

    Contre un tel projet, je perd mon temps, inutile de perdre le votre à me répondre

  • Cornil,
    Désolé si l'aspect de l'identité que je tente de mettre en lumière ici vous heurte. Est-ce que c'est l'idée d'un être humain qui ne serait qu'une machine biologique que vous croyez appercevoir dans mes propos? Vous auriez tort parce que je crois qu'il est légitime et vital de pouvoir dire je. A trop pousser les raisonnements en sciences sociales on arrive à des résultats contraires à ceux recherchés: le mieux est l'ennemei du bien, c'est ma règle la plus importante pour mes réflexions touchant aux réalités sociales et à la complexité en général.
    En quoi la mise en lumière de la dimension cognitive de l'identité serait contraire à la diversité? On ne perd jamais son temps à échanger, vos remarques sont toujours lues avec attention et je tente d'y répondre avec le plus de sincérité possible.

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