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Arnaud Montebourg propose un capitalisme coopératif et mutualiste, moi, j'aimerais bien qu'il devienne sociocrate!

Note incertaine sur le passé et l'avenir incertain de la chimérique autogestion

 

Dans ses propositions "Des idées et des rêves", Arnaud Montebourg propose de recoudre les capitaux avec le projet d'entreprise au moyen de la promotion d'un capitalisme coopératif et mutualiste. Il s'approche des projets de l'autogestion sans pour autant renoncer à toute hiérarchie, c'est à dire à tout moyen efficace de prendre des décisions. Toutefois, son projet n'est pas très clair. En effet, il veut d'un côté promouvoir les structures autogestionnaires classiques sans pour autant produire une analyse des raisons pour lesquelles l'idéologie autogestionnaire radicale s'est évanouie après l'embellie des années 70 sans embrayer sur des réalisations et pourquoi elle a été abandonnée par les politiques qui soutenaient l'autogestion (M. Rocard par exemple). D'un autre côté, il ne remet pas vraiment en cause le capitalisme tel qu'il est.

Je le cite:

"... je propose de changer notre pensée de l’entreprise et de retrouver les valeurs de la création de richesses, de savoir-faire et de bien-être, perdues par le management néolibéral. Si le cours de l'action n'était plus l'indicateur unique de la réussite des dirigeants, alors l'entreprise retrouverait le sens du long terme (investissement, équilibre entre revenus salariaux et dividendes). Si les salariés étaient parties prenantes des décisions, de nouvelles relations au travail pourraient émerger. Pour bâtir cette entreprise nouvelle, je propose de développer la palette de solutions offertes par le capitalisme coopératif. Je ne propose pas de généraliser ce mode d’exploitation et de remplacer le CAC 40 par des phalanstères. Je ne suis pas un révolutionnaire qui proposerait que la totalité de la propriété soit transmise aux salariés ou que soit abolie toute hiérarchie dans les entreprises. Non, l’économie a besoin d’entrepreneurs, de personnes qui prennent des décisions économiques risquées et qui en portent la responsabilité."

Dans un billet sur la domination, pour quoi faire?  je proposais que la gauche se penche de plus près sur les fonctionnalités des hiérarchies et sorte de l'utopie d'une autogestion radicale impuissante. Si j'applaudis donc à ce pas conceptuel à gauche que tente Montebourg et qui me semble être très porteur et promettre de renouveler l'autogestion au PS après une éclipse de près de 20 ans, Je regrette que l'analyse de l'échec de l'autogestion n'ait pas été faite, ce qui aurait peut-être permis de la dépasser. Quand les Lip ont eu l'occasion d'une reprise type coopérative, ce n'est pas l'option qu'ils ont choisi, ce qui en dit long sur le fantasme du désir d'autogestion*. Les bonnes intentions finissent au mieux dans l'oubli ou se terminent au pire en enfer quand elles ne sont pas éprouvées.

Paul Jorion dans "Le prix" édité en 2010  propose un autre partage du risque, il propose de défaire le lien entre propriété et action qui selon lui n'aurait jamais dû exister. "Dans le cas d’actions, l’actionnaire devient en même temps propriétaire de l’entreprise, un changement juridique qui n’aurait jamais dû intervenir. Sinon le prêteur est simplement celui qui consent des avances dans une logique de métayage."

Nous pourrions aussi nous intéresser aux réalisations de la sociocratie, dont la pratique semble pouvoir couvrir tout type d'organisation dans le respect de chacun et s'apparenter à une version "terrestre" de la démocratie en entreprise.

*Manuel Domergue aux 4ème débats interactifs de l'Adels le 4/12/2004: "...il semble que le socialisme autogestionnaire des années 70 soit resté essentiellement à l’état de discours, sans recouvrir une réalité sociologique significative. Cette mode intellectuelle serait donc restée éphémère car elle n’était pas partagée par la base, et n’a pas réussi à innerver la société en profondeur. Même les célèbres «  Lip », les fabricants de montre de Besançon qui ont fait tourner leur usine illégalement pendant une grève, derrière leur slogan « On fabrique, on vend, on se paie », ne réclamaient pas vraiment l’autogestion de leur entreprise. Lors de leur premier conflit, en 1973, pour contester un plan de restructuration, ils cherchaient un repreneur, et ont rejeté les propositions de reprise en coopérative. Bref, à l’époque, on a fabriqué de l’utopie, elle s’est bien vendue, mais on s’est payé de mots."

 

Avis de François Berger sur les SCOP, PDG de Technique Topo, SCOP 5/01/2012. Noter sa remarque importante sur le système de décision qui semble efficace.

Commentaires

  • Tu sais ce qui ne va pas fondamentalement dans les analyses politiques ? C'est qu'elles ne sont que politiques... et qu'elles ne tiennent pas compte des réalités intrinsèques humaines.

    Comme je le rappelle à quelques endroits de mes articles, les échecs des expériences autogestionnaires sont toujours consécutifs aux effets de taille et quand l'entreprise commence à avoir beaucoup d'argent... il n'y a pas de hasard....

  • Pour l'autogestion, la montée en 70-80 et l'abandon, c'est même pire, c'est quasi le désert d'analyse.
    Ta remarque renforce l'idée qu'il faudrait peut-être modifier la propriété de l'entreprise, que l'actionnaire ne soit plus le propriétaire. Sinon, sur le plan de l'organisation, je tente d'approfondir comment la sociocratie fonctionne. Je vais a une conf par un des principaux créateur, Gérard Edenburg, lundi 9 mai 2011 à Lyon.

  • Bé tu sais, ceux qui pourraient faire les meilleures analyses du phénomène de l'effondrement des entreprises auto-gestionnaires sont les avocats.
    À la fin des années 80 et dans la décennie qui a suivi, ils ont eu pour client tous les sociétaires qui se sont entretués sur le partage des actifs qu'ils avaient produit ensemble. Les raisons vont de banales histoires de cul qui ont mal tourné, à des jalousies, en passant par des avidités personnelles qui ont balayé tous les grands principes initiaux...
    Que des raisons humaines, rien de politique là-dedans...

  • Donc si un avocat ayant une plume un peu littéraire voulait nous rapporter les grandeurs et décadences de l'autogestion, ça rendrait service à tout le monde!
    J'ai observé de très près ce que le manque de moyen de prise de décision pouvait produire en recherche. En voilà un xemple en bref. Au cours d'une collaborations que j'ai eue avec un labos CNRS, je me suis retrouvé devoir "faire avec" deux "frères" devenus ennemis au sein de la même structure et personne pour les aider à régler leurs conflits. Le pire, c'est que j'ai mis deux ans à m'en rendre compte suite à une demande inhabituelle d'un échantillon que j'ai faites à l'un, alors que je la faisais d'habitude à l'autre. "L'un" me l'a procuré sans rien dire à "l'autre", mais ce n'était pas exactement le même matériau que d'habitude. Alors je m'en ouvre à "l'autre" qui me dit ne pas être au courant et keskecéksa? Voilà le pot aux roses découvert et on en a su de plus en plus. Vraiment des frères ennemis. Même mon directeur est allé parler à leur directeur pour qu'il règle le problème: résultat nul. Ces deux chercheurs ont trainé leur boulet jusqu'à la retraite sans qu'ils soient capables de surmonter leurs petits problèmes interpersonnels, vraiment des broutilles au début. Mais c'est comme dans les vendetta, ça peut débuter par un rien et enfler, enfler jusqu'à ce qu'aucun camp ne sache plus très bien la raison de sa haine pour l'autre.
    Le fait qu'ils cachent leurs différends vis à vis de l'extérieur est aussi symptomatique: on lave son linge sale en famille... même si on ne le lave pas!

  • Ton exemple est tout à fait parlant, et je pourrais t'en donner des dizaines d'autres...
    Il y a un excellent bouquin qui analyse comment les conflits individuels de même niveau (quel qu'en soit les origines ou les motifs) sapent toutes les structures qu'elles soient institutionnelles ou d'entreprises, c'est : "Dans Les Coulisses De L'Organisation" de Selvini-Palazzoli et son équipe d'analystes systémiques.

    Ce qui fait la différence avec les organisations structurées pyramidalement, c'est qu'il y ait un patron et un seul. Ça se comprend assez facilement, dans ce dernier cas la "lutte des places" se concentre principalement autour du pivot central qu'est le représentant de l'autorité qui ne peut pas être "abattu"... Dans les structures plus horizontales, la "lutte des places" se déroule à tous les niveaux structurels... et on comprend aisément que la seconde formule est quelque peu plus paralysante que la première, et produit plus de "maladies".

    Tu remarqueras à ce propos que la sociocratie a beau être un modèle participatif intéressant, elle garde quand même un système avec un patron et un seul.
    Pour ma part, j'ai exploré quasiment tous les types de structurations, des plus autogestionnaires aux simples participatives...
    Je pensais avoir découvert un mode de structuration original (qui a quand même tenu 10 ans avec un franc succès en terme d'efficacité économique et humaine) en séparant et en rendant étanche les fonctionnalités (notamment : un associé ne pouvait pas être dirigeant et un dirigeant ne pouvait pas être associé ; mais aussi, avec un mode de gestion analytique comptable totalement transparent qui permettait de connaître exactement qui avait fait gagner quoi à l'entreprise, avec une redistribution en conséquence) ; mais quelques associés ont fini par faire un putsch, au moment, bien évidemment, où l'entreprise était la plus prospère, ... et la belle aventure s'est arrêtée là ou du moins à continuer sur un mode totalement classique.

    Tu sais, je pense fondamentalement que l'autogestion ne peut avoir une toute petite chance de prospérer que si tous les associés ont déjà fait un travail introspectif important, notamment pour tout ce qui concerne leur rapport au pouvoir et à l'avidité... et bien évidemment, c'est un préalable et une exigence impossibles à tenir dans un fonctionnement d'entreprise.

  • Merci pour la référence.
    En gros, il n'y a pas de conflit à arbitrer quand il n'y a pas d'enjeu! Le cas de mes deux gaillards collègues chercheurs est différent de tes exemples par la forme où c'est plutôt l'enjeu d'argent qui vient perturber le système, alors que les deux chercheurs, c'est plutôt la notoriété (ils s'accusaient de se piquer mutuellement les résultats de leur "création"). Mais c'est tout aussi "efficace" pour mettre le bazar.

  • Non, non, ce n'est pas différent, c'est dans l'exacte lignée de tous les problèmes que l'autogestion n'arrive pas à résoudre... Tu verras si tu lis le bouquin de Selvini-Palazzoli comment se cristallisent les blocages, des fois sur des simples inimitiés politiques, sans aucun rapport avec les buts des institutions ou des entreprises... C'en est renversant et ça confirme mes expériences. Il y a des enjeux évidents de pouvoir, d'argent, mais il y a aussi tout le reste : le besoin de reconnaissance, de notoriété, et même d'avoir un plus joli bureau, et cetera, et cetera...
    Dans les structures horizontales ces conflits deviennent vite des points homéostatiques indépassables... et si on veut faire un parallèle, c'est comme si on disait à une fratrie, ce n'est plus les parents qui décident maintenant, c'est vous démocratiquement... C'est impossible à gérer et à supporter...

  • D'accord avec toi pour me contredire!
    Mais de tes commentaires précédents, l'argent est quand même un facteur important d'infection généralisé de tous les petits boutons homéostatiques. Comme le SIDA en quelque sorte.

  • L'argent oui, mais ce n'est vraiment pas le seul élément... et je vais te dire pourquoi. Dans l'expérience de structure originale que j'avais mise en place et qui a duré 10 ans, le contrôle de gestion était si élaboré, qu'il était impossible qu'un associé puisse percevoir plus que ce qu'il n'avait apporté à l'entreprise (il y avait une compta analytique et de répartition très pointue par affaire), et encore moins qu'il puisse toucher de l'argent qu'il n'aurait pas lui-même gagné... Personne ne pouvait être lésé et chacun touchait selon ses apports et surtout son travail... et bien ça n'a pas suffi.
    Comme certains associés travaillaient mieux et plus que d'autres et gagnaient en conséquence plus d'argent, vers la fin ils passaient leur temps à se jalouser et à s'envier, comme des mômes... Des clans se sont créés autour des leaders naturels et le groupe a fini par éclater, à la suite d'un putsch d'un de ses leaders, alors qu'il n'y avait strictement aucune raison objective pour que cela se passe ainsi... rien que du fantasme et des inimitiés personnelles...
    Alors oui, il n'y a pas de hasard, tout cela s'est produit à un moment où l'entreprise (pleine de pognon) voulait devenir propriétaire immobilière de son outil de travail, donc on pourrait dire que c'est à cause de l'argent... Mais au fond, l'argent n'a été qu'un révélateur et un prétexte à une triviale lutte de "grands singes" pour le pouvoir.

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