Le passé, la propriété et nous
Se libérer du passé ne veut pas dire l'oublier ou le nier, c'est tout le contraire. Ce n'est qu'en se réappropriant son passé, en le regardant en face que l'on se libère de son poids. Mais de quel passé s'agit-il? Bien entendu, il s'agit de tous les évènements qu'on a vécu comme étant tragiques, les deuils qui prènnent parfois un peu de temps. Mais il s'agit aussi bien des plaisirs qu'on peut obsessionnellement tenter de reproduire et dont le souvenir nous enchaîne. Il y a aussi nos croyances, nos idées reçues, même si elles ne datent que d'hier, elles viennent encombrer la limpidité de notre regard actuel. Se libérer du passé, c'est aussi se libérer du connu, mais ça ne veut pas dire l'oublier, c'est seulement se libérer de son poids, du biais qu'il crée entre nous et le réel. Se libérer du passé est un phénomène permanent, bien que plus ou moins cahotique, inutile de trop se forcer, inutile de se débattre contre, il suffit de ne pas empècher ce passé d'émerger à la conscience, c'est tout. Jiddu Krishnamurti a tenté une bonne partie de sa vie de nous faire partager cette découverte simple et pourtant si difficile à vraiment pénétrer (ne dit-on pas parfois que le passé est dur à digérer): le passé, c'est du passé.
Que veut dire se libérer de la propriété? Est-ce que cela signifie y renoncer? La question de la propriété est un sujet de débat politique depuis fort longtemps. Marx en a longuement traité, Proudhon a affirmé et tenté de démontrer que "la propriété c'est le vol". La question est-elle tranchée définitivement? Cette question est en train de ressurgir aujourd'hui dans le www du sillage de la crise économique. Est-ce que le pouvoir individuel associé à la propriété est trop grand? Est-ce que le propriétaire se confond avec ses propriétés, son moi est-il différent de celui du non propriétaire? Sur quel plan aborder ce sujet? Quel est le rôle de la propriété dans la façon dont nous prenons nos décisions du niveau individuel aux niveaux collectifs?
La plupart des analyses et des concepts du livre de Régis Debray "Eloge des frontières" peuvent être transposés à la question de la propriété. En effet, la limite de la propriété est une frontière, avec sa porosité, ses règles d'échange. Ce qui ne signifie pas que la propriété se situe au-dessus ou contre l'intérêt collectif, ainsi que l'atteste l'exemple de la piscine privée que les pompiers auront non seulement le droit, mais le devoir de pomper en cas de besoin.
Une des questions actuelles qui justifie la remise en question de la propriété provient de l'accumulation considérable par un petit nombre d'un capital considérable. Ce capital trouve à se transformer en patrimoine, c'est à dire en propriété. La part consacrée au logement a très fortement augmenté au cours des 20 dernières années (2 fois plus que l'inflation) et nous en sommes au point où le principe même de propriété s'en trouve délégitimé. Afin de stabiliser le droit de propriété, un des principes universels (relatifs selon la terminologie de Ph. Descola?) pourrait proclamer que nul individu ne peut posséder plus de x fois l'équivalent de la biocapacité moyenne par individu. La transcription d'un patrimoine en hectare n'est peut-être pas aisée, mais elle a le gros avantage d'être transposable à l'échelle de la planète.
Les analyses de Léon Bourgeois sur la propriété et sur ce que chacun doit à la communauté actuelle et passée me paraissent toujours pertinentes.