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  • Pour un Pacte National d'Innovation Sociale, par Hugues Sibille

    Reprise, avec son accord, d'un billet de Hugues SIBILLE, du 16 Janvier 2013, tribune publiée par ailleurs dans La Croix du mardi 15 janvier 2013. Un billet militant pour une approche sociale contributive, inclusive, innovante, pragmatique (on arrête les initiatives qui ne marchent pas et on duplique celles qui fonctionnent) en phase avec la subsidiarité. Une approche structurante du domaine social en accord avec l'Etat Providence Participatif que je soutiens ici. 

    À situations nouvelles, solutions nouvelles.Nous sommes en stagnation économique et en disette budgétaire. Cessons donc de traiter le social comme une “redistribution”, devenue impossible. Gérons-le comme un investissement dans une nouvelle croissance. Comme un facteur de compétitivité. Avec retour sur investissement pour la collectivité. Un euro public investi dans une entreprise d’insertion évite les coûts du chômage ou de l’aide sociale et génère 2,3 euros de retour dans les caisses publiques par l’impôt et les cotisations. [souligné par mes soins, point qui me semble important pour être entendu de tous ceux qui ne voient que de l'assistance dans une démarche qui se révèle contributive. Je tente d'obtenir plus de détails sur la façon dont ce résultat est calculé] Le même raisonnement vaut pour une coopérative d’activité, qui permet de créer son emploi dans un cadre mutualisé, ou pour le microcrédit professionnel accompagné. Encourageons ces modèles productifs. Généralisons-les lorsqu’ils marchent. Arrêtons-les quand ils ne marchent pas.

    Les besoins sociaux changent avec la société. Les produits et services sociaux, leurs modes d’organisation, les modèles économiques qui les supportent doivent innover. Le rapport du Secours Catholique sur la pauvreté montre qu’en dix ans les coûts énergétiques des plus fragiles ont progressé de 48 % et deviennent insupportables. Innovons pour résorber cette précarité énergétique. De même, l’absence de téléphone mobile devient un handicap majeur à la (re)socialisation. Et le vieillissement massif de la population impliquera de traiter autrement la dépendance, en termes de santé et de logement.

    Pour apporter ces nouvelles réponses, des innovateurs sociaux expérimentent chaque jour. Chêne let crée le logement social éco-conçu. Emmaüs Défis passe des accords avec SFR pour la téléphonie sans fil. Siel Bleu propose une activité physique adaptée aux personnes âgées pour faire de la prévention santé. Habitat et Humanisme crée un concept mélangeant services infirmiers à domicile, centre de jour et centre d’accueil. On peut mesurer l’impact social de ces innovations. Ainsi l’activité physique en maison de retraite fait reculer le diabète et les chutes avec fractures. Sa généralisation représenterait des centaines de millions d’euros d’économie. Sortons ces multiples initiatives de la “marge” où ils sont cantonnés pour en faire le centre de la transition vers une nouvelle croissance inclusive. L’intérêt porté à l’innovation technologique vaut aussi pour l’innovation sociale.

    Les collectivités territoriales commencent à encourager l’innovation sociale. Les régions l’inscrivent dans leurs Schémas Régionaux d’Innovation (SRI) et mobilisent leurs agences régionales d’innovation en Champagne Ardennes, Bretagne, Franche-Comté, etc. Languedoc Roussillon crée un écosystème régional favorable aux innovateurs sociaux avec incubateur, pépinière, école d’entrepreneuriat, système de duplication (Replic)… De son côté, la Commission Européenne a lancé un Programme pour le changement social et l’innovation sociale. La nouvelle programmation du Fonds Social Européen (FSE) pour la période 2014/2020 favorisera cette innovation sociale. Partout, elle émerge comme objet de politique publique à côté de l’innovation technologique.

    Le moment est venu en France d’un Pacte National d’Innovation Sociale qui complète et renforce le pacte de compétitivité, et accompagne le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire prévu pour le printemps 2013. Les principes de ce Pacte seraient les suivants :

    - ouvrir à l’innovation sociale les dispositifs de soutien à l’innovation technologique, sans les opposer.

    - privilégier les projets qui transforment des “bénéficiaires” en “parties prenantes”, en acteurs responsables, et mobilisent la société civile, comme le fait Solidarités Nouvelles face au Chômage.

    - encourager les partenariats associations-entreprises, tels que les achats responsables, le mécénat de compétence, le capital investissement d’utilité sociale.

    - faire de l’innovation sociale une priorité des politiques contractuelles État/collectivités territoriales. 

    Ce Pacte serait décliné en un plan pluriannuel avec des objectifs mesurables, par exemple sur les trois rubriques suivantes :

    - financement de l’innovation sociale : ouverture des dispositifs relatifs à l’innovation technologique, mise en place d’un crédit impôt recherche innovation sociale, localisation au sein de la nouvelle BPI d’un Fonds innovation sociale privilégiant les avances remboursables et les systèmes de garanties.

    - création au sein de chaque ministère (logement, santé, environnement, agriculture…) d’une cellule innovation sociale, comme cela existe au Royaume Uni, chargé de favoriser les expérimentations avec la société civile, puis leur diffusion à grande échelle, et mise en réseau interministériel de ces cellules

    - modélisation d’écosystèmes territoriaux de soutien à l’innovation sociale complétant les pôles de compétitivité et réseaux régionaux d’innovation, réunissant les régions qui ont la compétence économique avec les départements qui ont la compétence sociale, et l’état, pour construire des alliances avec les entreprises, associations et syndicats et les universités. 

    Les contraintes des finances publiques ne sauraient conduire nos gouvernants à gérer en simples comptables les coupes budgétaires. Sortir par le haut de cette période anxiogène nécessite de redonner du souffle et de l’imagination aux politiques publiques, de prendre des risques en libérant les forces créatives, de fabriquer de l’estime de soi et de la confiance. Un Pacte d’innovation sociale, reconnu et promu, y contribuerait significativement. 

    Hugues SIBILLE, Ancien Délégué Interministériel à l’Innovation Sociale. Président d’Avise, Vice Président du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, Auteur de : La voie de l’innovation Sociale, éd. Rue de l’échiquier, 2011.